Namibie : la misère disparaît avec le BIG
.
Le Revenu d’Existence n’est pas n’est pas une lubie de pays « riches » : le BIG expérimenté en Namibie nous montre que la grande pauvreté pourrait disparaître du jour au lendemain.
.
Le contexte
En Namibie, indépendante (de l’Afrique du Sud) depuis 1990, règne l’abondance : tant en ressources minérales et halieutiques qu’en pauvreté. Le pays présente les plus grands écarts de revenus au monde. Soucieux d’améliorer la situation, le gouvernement a créé en 2002 une commission, laquelle a conclu « que la mise sur pied d’un revenu de base garanti est le meilleur outil pour contrer la pauvreté et les inégalités ». Des associations, ONG et Églises se regroupèrent au sein de la coalition BIG1. Après trois ans de débats et de démarches infructueuses, la coalition décida néanmoins d’implanter le projet dans un village.
Elle choisit un endroit dans lequel il ne se passerait rien pendant au moins deux ans (pas de programme de création d’emplois, pas de projet d’aide au développement, pas de rentrées financières) : Otjivero-Omitara, à une centaine de kilomètres à l’est de la capitale, où vivaient un millier d’habitants dont les deux tiers étaient au chômage (beaucoup d’anciens agriculteurs et leurs familles qui n’ont nulle part où aller), entourés de grandes exploitations tenues par des fermiers blancs retranchés derrière leurs barbelés électrifiés (l’eau est abondante grâce à un barrage à proximité). Sous-alimentation (un enfant sur deux), déscolarisation (40% des enfants ne finissent pas leur scolarité), SIDA, alcoolisme…
« Otjivero avait l’air d’être dans une situation tellement désespérée que nous avons pensé au début que le BIG ne servirait pas à grand-chose, hormis une légère réduction de la pauvreté. »2
.
Fonctionnement du BIG
Sous l’œil attentif d’une équipe de chercheurs locaux et internationaux formée pour évaluer l’impact de cette mesure, tous les résidents de moins de 60 ans3 ont reçu, deux ans durant (de 2008 à 2009), un revenu d’existence (RE) mensuel de 100 $ namibiens (environ 10 €, soit un tiers du minimum vital) sur leur carte à puce personnelle.
L’assemblée villageoise avait désigné un comité pour mobiliser et conseiller la population, gérer et surveiller le versement du revenu de base. En outre, elle a imposé, à titre préventif, la fermeture des sept auberges du village chaque jour de paiement.
Pour éviter un travail fastidieux qui aurait coûté trop cher en vérifications, et également pour ne pas pénaliser les gens qui trouveraient un travail, le BIG a été versé à tous, sans condition de ressources. Dans les faits, celui qui gagne bien sa vie reverse le BIG à l’État par ses impôts.
.
Des résultats fantastiques
Contrairement au discours des institutions supranationales, le FMI en particulier, les paiements directs et inconditionnels ne provoquent pas l’effondrement de la moralité privée et publique, ni une catastrophe économique.
.
La criminalité de subsistance (vol de bois de chauffage et braconnage) a fortement diminué. Le nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté est passé de 76 à 37 % ; il n’y a plus que 10 % d’enfants sous-alimentés ; 90 % des élèves finissent leur scolarité. Un peu partout, les tôles ondulées en acier galvanisé ont remplacé les bâches en plastique qui coiffaient les maisons. Des commerces se sont créés.
Les revenus supplémentaires ont rendu possibles des initiatives économiques intéressantes. Une femme a acheté une machine à coudre ; un groupe a crée une épicerie de village ; une autre femme cuit et vend des petits pains ; un villageois s’est mis à confectionner des briques, d’abord pour son propre usage, puis pour ses voisins ; d’autres ont pu se payer une annonce de recherche d’emploi et trouver du travail.
Le revenu garanti a aussi affranchi les femmes. Plusieurs n’ont plus à se prostituer occasionnellement pour survivre.
Même les fermiers des environs n’y sont pas absolument opposés et reconnaissent que des progrès ont eu lieu au village dont ils profitent en partie (diminution des vols), mais pas sur tous les tableaux (les ouvriers agricoles ont dorénavant d’autres perspectives).
Une habitante témoigne : « le milieu est beaucoup plus propre parce que les gens ne sont pas gênés de faire le nettoyage lorsqu’ils sont rassasiés et n’ont pas faim ».
Le seul problème est que le village attire maintenant du monde : la population est passée de 1.200 à 2.000 habitants.
.
Du bons sens en action
C’était une évidence depuis longtemps pour nombre d’alter-mondialistes mais encore réfuté par les doctrines officielles. Contrairement au micro-crédit qui n’agit que sur la production, le RE a un impact supplémentaire, primordial, sur la demande.
En Afrique, le pouvoir d’achat se concentre en général dans quelques centres, ce qui force les gens à quitter les campagnes pour les villes, où les bidonvilles finissent par s’étendre. Le RE permet à des régions rurales de se développer, il crée des marchés locaux et permet aux gens d’être autosuffisants.
.
Perspectives
L’extension du projet à l’ensemble de la Namibie fait débat au sommet de l’État. La Poste namibienne affirme qu’il serait rentable pour elle d’ouvrir un bureau dans chaque ville en cas d’instauration du RE (même avec deux retraits d’argent sans frais par personne et par mois). Sa généralisation ne poserait pourtant guère de problèmes budgétaires. Il ne coûterait que 5 à 6 % du budget national. C’est-à-dire quelques prélèvements sur les exportations de matières premières et mesures de lutte contre l’évasion fiscale. Ou plus simplement un relèvement du taux de TVA de 2% et d’une légère augmentation de l’imposition sur les revenus les plus hauts. Certains ministres s’y opposent catégoriquement. Ceci n’est probablement pas sans lien avec le rapport sur le revenu de base élaboré par une délégation du Fond Monétaire International, rapport basé « par hasard » sur des données erronées..
Certes, le RE demeure une mesure limitée qui ne constitue pas une panacée pour surmonter les défis socio-économiques de la Namibie. Cette initiative doit être accompagnée par d’autres changements structurels et par des mesures de répartition de la richesse et de création d’emplois. Toutefois, le revenu de base garanti est un point de départ prometteur pour enrayer la pauvreté qui accable tant de Namibiens.
.
Épilogue
Le projet-pilote s’est terminé au bout de la deuxième année. Toutefois, la coalition BIG ne pouvait rester sans rien faire et laisser les habitants revenir aux niveaux dégradants de pauvreté dans lesquels ils vivaient avant. Ils ont donc décidé de verser une allocation-relais de 80 $ namibiens à ceux qui percevaient le BIG. Ce n’est pas une solution, mais une « mesure anti-rechute ».
.
Éric Goujot
.
Pour aller plus loin :
– Articles de François Bousquet dans Nexus n°72 de janvier-février 2011 (pages 32-33)
– Interview de Bertha Hamases par Servaas van den Bosch sur IPS (http://ipsinternational.org/fr/_note.asp?idnews=6384)
– Article d’Albert Jörimann du 13/05/10 sur BIEN-SUISSE (http://bien-ch.ch/fr/node/174)
– Interview d’Herbert Jauch du 29/04/10 dans Courrier International (www.courrierinternational.com/article/2010/04/29/les-miracles-du-revenu-minimum-garanti)
– Article d’Herbert Jauch du 28/05/09 sur Alternatives.ca (http://journal.alternatives.ca/auteur/herbert-jauch)
.
1 Basic Income Grant Coalition
2 Herbert Jauch, 29/04/10
3 les retraités touchent une pension dont le montant est supérieure au BIG
.
publié dans le n°6 de juin 2011, mis en ligne le 15/12/2011
Commentaires récents