Éduquer et/ou former : des tensions difficiles !
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Moitié en réponse et moitié dans le prolongement de l’article de Dominique Humbert, voici quelques pistes de réflexion, issues de divers engagements syndicaux, et de la lecture de La Crise de l’éducation, article de la philosophe Hannah Ahrendt (1965).
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L’éducation se situe dans la tension entre deux objectifs qui sont tous deux incontournables : préparer l’enfant au monde et protéger l’enfant du monde. Cela va se traduire par une tension permanente entre surveiller et laisser faire, entre guider et laisser expérimenter, entre présence d’adultes et autonomie des enfants. Les méthodes extrêmes (autogestion totale du groupe d’enfant, ou tyrannie absolue des adultes) ont fait la preuve de leur inefficacité, de leurs ravages. Les positions intermédiaires sont toutes fragiles, précaires, contestables, et doivent sans cesse être remises en débat… (et défendues contre les tentations totalitaires de la simplicité apparente des méthodes extrêmes).
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D’autre part, faut-il faire continuer la société ou préparer les changements de la société ? Le choix (déjà fait) des centrales nucléaires nous oblige à former des techniciens du nucléaire (hélas) : continuer certaines activités humaines est une absolue nécessité, qu’il s’agisse de fonctions primaires nécessaires à notre survie collective (agriculteurs, maçons, bûcherons ou mineurs…), ou d’exigences plus récentes, sur lesquelles nous ne sommes pas prêts à revenir en arrière (médecine de pointe…). Par ailleurs, les dysfonctionnements évidents de la société actuelle, l’urgence écologique, les défis de la croissance démographique imposent de changer : de nouvelles techniques, de nouvelles façons de vivre doivent être inventées et développées. Les adultes formateurs ont bien entendu une certaine compétence pour critiquer le monde actuel, et donc préconiser des évolutions qu’ils jugent bonnes. Mais ils sont aussi (pas forcément de façon consciente) attachés à des éléments de ce monde. En affirmant préparer les jeunes d’aujourd’hui au monde de demain, ils sont donc à la fois en train d’assurer la reproduction de ce qu’ils jugent important, en train de préparer les changements qu’ils aimeraient voir, et aussi, très humainement, en train de s’assurer de leur marque sur l’avenir, de laisser une trace après leur mort, d’organiser le contrôle de ce qu’ils ne pourront plus contrôler. Cette tension insupportable rend l’activité éducative bien inconfortable pour tous ceux qui s’y adonnent en restant lucides !
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Par ailleurs, on confond trop souvent les diplômes avec la formation. Former apporte quelque chose à un individu : un développement personnel, des compétences, un savoir-faire, un savoir-être. Le diplôme, lui, apporte aux autres individus une preuve, une garantie de cette formation : il permet à la société de prendre en compte ces compétences, sans obliger à les revérifier sans cesse. Or notre société tend à exiger des diplômes pour toute activité, et cette exigence a des côtés contraignants (que certains peuvent trouver excessifs), mais aussi sécurisants (l’assurance que les chirurgiens ont été bien formés est rassurante, surtout quand on est allongé sur un brancard, aux urgences !). Le débat doit donc rester ouvert, entre le plaisir d’apprendre pour soi, et la normalisation de certaines formations – entre la liberté d’entreprendre et la réglementation de certaines activités (conduire une voiture, un avion, entretenir une centrale nucléaire…).
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Alors, où laisser émerger l’imprévu et la nouveauté ? Comment permettre aux générations futures d’inventer radicalement autre chose que la réalisation de nos rêves, la guérison de nos frustrations, la réparation de nos erreurs ?
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Hélène Bourdel
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publié dans le n°7 de septembre 2011, mis en ligne le 16/12/2011
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