Revenu d’Existence : attention aux leurres ?!
Il me vient de suite l’envie de compléter : belle, bonne, joyeuse, utile… existence.
Et pourtant, où trouve-t-on cette notion?
Pas chez ceux qui, peut-être naïvement, pensent qu’il suffira d’octroyer à chacun, dès la naissance, un pactole égal pour tous, pour libérer à vie les plus vulnérables d’entre nous des tâches les plus pénibles (mais socialement utiles sinon indispensables).
Et certainement pas chez ceux, qui, machiavéliquement, comptent avec ce revenu pouvoir se dédouaner de leurs responsabilités, acheter la paix sociale, et qui en profiteront pour récupérer à leur propre avantage ce nouveau pouvoir d’achat.
« L’empressement des travailleurs à accepter des emplois faiblement rémunérés
dépend en partie de la générosité relative des prestations de chômage.
Il y a lieu, dans tous les pays, de raccourcir la durée des droits lorsqu’elle est trop longue
ou de rendre les conditions d’admission plus strictes. »
Banque mondiale, World Department Report, Workers in an integrating world, Oxford university press, 1995
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Le revenu d’existence est une belle et généreuse notion qui ne peut pas exister dans un système marchand tel que nous le connaissons actuellement, dans un système où les « riches » (pas forcément très riches) raisonnent sur la base de besoins standards de base.
D’abord parce que les besoins, c’est quoi ? Manger, dormir ? Mais même si l’on ne parle que de cela, ce qui serait néfaste à toute ambition de civilisation humaine, chacun doit pouvoir manger ce dont il a envie, en sus de ce dont il a besoin. Et s’il veut se gaver de cochonneries, qu’il le fasse! J’ai en effet l’impression qu’en contrepartie de ce fameux revenu d’existence, on veut nous faire vivre sur la base de besoins établis, standardisés et non choisis.
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Le revenu d’existence, dit-on, permettra à chacun de répondre à ses besoins fondamentaux, permettant ainsi aux plus paresseux (ah, les sages !) d’entre nous d’utiliser le temps libéré à leur gré : alors ça, dans une société marchande capitalistique, c’est la plus grosse blague qu’on ait entendue ! Mais, les amis, croyez-vous vraiment que les financiers ne vont pas se ruer sur ce pouvoir d’achat potentiel et général pour augmenter leurs profits en excitant notre désir de consommation par une publicité à l’agressivité adaptée ???? Les loyers ne vont-il pas augmenter d’un coup comme lors de l’arrivée des APL en 1977 ?
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Parler de besoins induit qu’il existe du superflu, qu’une société digne de ce nom doit pouvoir procurer à ceux qui peuvent l’acquérir.
On a donc inventé le revenu d’activité (pourquoi ne pas dire, revenu de travail ?) qui, pour ceux qui le souhaitent, pourrait compléter le revenu d’existence, et permettre de se payer des choses « superflues ». Pourquoi pas ?
Là revient au galop la notion de mérite : si on reste dans la logique actuelle, ce seront ceux qui s’amusent le mieux au travail qui gagneront le plus d’argent. Si, si, croyez-moi, ces grands pontes qui ont fait, la plupart du temps au frais des contribuables, de très longues études, ces gens débordés qui travaillent leurs 35h en 2 jours, qui bénéficient d’un prestige important, s’amusent au travail ! Pas au sens de la rigolade 24h sur 24, mais du pétillement intellectuel, de la jouissance à gérer, créer, diriger, trouver, soigner, guérir même… et gagner beaucoup d’argent, en tous cas bien plus que celui qui éduque les enfants, qui nettoie les rues et les maisons, qui borde les malades, qui nourrit les cohortes des cantines, et tous ces travaux basiques, dont chacun a besoin au quotidien.
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Il y a une vraie condition à ce que le revenu d’existence donne un sens à l’existence : revoir la notion même d’échange, passer du monétaire au distributif. Cela implique que chacun contribue à la bonne marche de la société, que la richesse ainsi produite soit distribuée à part égale entre tous. Et que chacun puisse développer pendant son temps libre, qui sera important, ses talents. Après, ces talents peuvent être « monnayés », mais toujours en un type d’échange qui ne permet pas de capitaliser. Plus aucun intérêt donc à vendre cher ! Rien que le plaisir de se réaliser, comme on dit, de faire profiter ceux qui veulent de ses productions, qu’elles soient intellectuelles, sociales, artistiques…
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Sylvie Grucker
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publié dans le n°6 de juin 2011, mis en ligne le 15/12/2011
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