jeudi, 28 of mars of 2024

De la désillusion démocratique à l’élévation de nos démocraties locales

Le rêve d’une démocratie parfaite où il ferait bon vivre heureux et épanouis dans la société est certainement une image qui parcourt l’esprit de tous ceux épris de politique1. Or aujourd’hui la démocratie est bien souvent vécue comme une désillusion. À chaque élection, les masses médias nous rabâchent que ce qui risque d’être le facteur déterminant serait le taux d’abstention. Lequel pourrait certainement être bien moins important si le vote blanc n’était pas relégué au rang d’un vote nul. Car celui-ci est porteur de beaucoup de sens politique dans les choix des candidats offert à la mandature par les partis politiques. Cependant l’abstention ne veut pas dire désintéressement de nos concitoyens de la chose politique mais est plutôt le signe pour Pierre Rosanvallon d’un « désenchantement démocratique » qui « dérive d’un idéal de fusion entre gouvernés et gouvernants »2. De surcroît, les projets des deux partis majoritaires, censés motiver l’acte de votation et nous représenter, convainquent de moins en moins. Les autres partis hormis certains extrêmes sont souvent porteurs de renouveau démocratique, mais ne possèdent pas les clés d’entrées aux masses médias, dont les portes sont verrouillées par l’univers de l’argent, les instituts de sondage, les outils médiatiques financés par l’armement et l’industrie plus généralement.

Ces désillusions ont leur fondement dans les années Miterrand. Elu grâce à une vision socialiste de la société, ces années ont permis à ses gouvernements d’installer paradoxalement la philosophie néolibérale qui n’est autre qu’anti-sociale et anti-solidaire, donc en totale opposition aux aspirations d’une majorité qui l’a porté au pouvoir. Ce néolibéralisme, à la recherche de toujours moins d’État, de dérèglementation et toujours plus de contrôle des populations (fichier policier, fichage ADN, mise en garde à vue abusive (devenu anticonstitutionnelle3 en Juillet 2010), plan vigipirate), c’est vu renforcé par les années Chirac et atteint aujourd’hui une apothéose grâce à la crise financières de 2008 et à des dirigeants politiques qui renouent avec des valeurs et des actes qui ont par le passé soit failli nous faire basculer dans un gouvernement totalitaire (exemple de la période en amont de la Grande Guerre et au cours des années 30) soit nous y ont conduit sous le gouvernement de Vichy, au cours de la période d’occupation de la Seconde Guerre Mondiale. Cette attitude décomplexée vis à vis de ces années noires pour notre histoire contemporaine relève d’individus trop jeunes pour avoir vécu la honte que cela a représenté à l’issue de cette guerre.

Aujourd’hui la relative désaffection des urnes est certainement plus due à une conséquence de la perte de confiance envers ce système représentatif qui n’est plus suffisant du point de vue organisationnel et à la perte de légitimité de nos représentants élus qui font souvent défaut dans leur impartialité, leur réflexivité sur l’état et le devenir de la société et leur manque de proximité avec le citoyen.

Il en résulte certes un sentiment de confiscation du pouvoir au peuple au profit de celui de groupes de pression (lobbies) qui au mieux orientent les décisions politiques et les lois, au pire détournent les richesses produites par les biens communs au profit de l’enrichissement de particuliers, de groupes d’individus, d’entités économiques4 dont leurs activités ne seraient plus régulées par le pouvoir politique mais par une « main invisible » du marché.

Ainsi, comme le souligne Pierre Rosanvallon, cette relative désaffection n’est pas synonyme de dépolitisation et de passivité de notre société qui fait preuve au contraire de réactivité, d’inventivité et de propositions dans un mouvement général de contre-démocratie5 disséminé dans la société. Un accroissement du pouvoir social en gestation, actuellement incanalisable, faussement interprété par les instituts de sondages qui s’affichent comme un outil scientifique pour faire croire à la pertinence de leurs analyses.

La sortie de ce marasme ambiant et l’avenir de la contre-démocratie passerait d’après Yves Sintomer6, par l’élévation du niveau de notre démocratie par plus de pouvoir au peuple qui permettrait plus de participation aux décisions, aux contrôles et la validation des choix de nos représentants élus et institutions administratives.

Des tentatives sont actuellement expérimentées par des équipes politiques locales autour des budgets participatifs, les comités de quartiers, les instances HLM, sans pour autant donner les moyens aux citoyens de réellement participer, contrôler, valider les projets.
Cependant pour le développement et la réussite de ceux-ci, je pense que les mouvements associatifs, les personnes riches de propositions, doivent apprendre à adopter les techniques de la communication douce7. Il est certainement plus primordial d’engager des évolutions avec les politiques et les responsables de l’administration pour créer des univers de confiance plutôt que d’imaginer une quelconque révolution qui comme le mot l’indique conduit à des situations où on finit par se retrouver au point de départ. S’engager à adopter une stratégie de communication douce permettra à mon sens d’engager cette évolution collective grâce à notre évolution individuelle. La démarche d’individuation que nous observons aujourd’hui par la montée en puissance de l’individualisme, entraine certes la volonté de défendre son point de vue, ses envies etc. mais oblige en contre partie à apprendre à écouter l’Autre. Cela nécessite donc beaucoup de remises en question de notre manière d’Être en groupe. Sans cela, sans une démarche de co-construction des projets communautaires avec pour objectif la recherche du consensus8 il serait difficile d’entrevoir une quelconque élévation de nos démocraties, quand bien même les outils fussent-il mis à notre disposition.

Eldrich Martins

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1 La politique porte sur les actions, l’équilibre, le développement interne ou externe de cette société, ses rapports internes et ses rapports à d’autres ensembles.

2 Interview avec Pierre Rosanvallon : Comment réinventer la démocratie ? Nouvelobs le 04/09/08

4 d’après la source OCDE (tableau sur http://dx.doi.org/10.1787/456405378181), la part des salaires est passée de 66,9% en 1981 à 57 % en 2006, soit une perte de 9,9 % points de PIB ont été perdu par les salariés au profit du capital, soit environ 160 Mdrs d’Euros annuel.

5 contre-démocratie : néologisme créé par Pierre Rosanvallon pour caractériser une forme de « démocratie civile » impolitique au sens où les citoyens s’organisent pour défendre des projets communs dont fait défaut une appréhension globale des problèmes liés à l’organisation d’un monde commun. (« La contre-démocratie », p.28, Editions du Seuil).

6 « Le pouvoir au peuple, jury citoyens, tirage au sort, démocratie participative », Yves Sintomer, Editions de la Découverte.

7 Communication douce plus communément appelée communication non violente.

8 Prendre des décisions au consensus en groupe http://www.campclimat.org/spip.php?article18

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publié le 09/11/2010


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