La cigale et la fourmi
La cigale et la fourmi étaient des copines d’enfance, même si elles n’étaient pas du même quartier.
La cigale habitait là-haut, que seuls les 4×4 atteignaient.
La fourmi était du bas, là où on voyait passer les 4×4.
Elles fréquentaient la même école, jusqu’au jour où disparut la carte scolaire ; leurs chemins se sont alors séparés. La cigale alla à Sainte Cunégonde et la fourmi à Jules Ferry.
Cette enfance était malgré tout heureuse pour les deux.
La fourmi, dont la famille n’était pas très riche, était toujours chichement habillée, mangeait du pain et du riz, économisait le moindre centime.
La cigale, quant à elle, vivant là-haut, dans une grande maison, dépensait sans compter : les croissants rivalisaient avec les petits pains au chocolat.
Cependant, à plusieurs reprises, la famille cigale se retrouvait dans une gêne inexplicable et était obligé de quémander vêtements et nourriture ; la famille fourmi, tout en n’ayant que les maigres ressources de la CAF (Caisse d’Allocations pour Fourmis), leur venait toujours en aide.
C’était dans ces périodes que la cigale était la plus gentille. La fourmi s’inquiétait de ces brutales variations. On parlait d’actions qui montent ou qui descendent ; cela dépassa largement l’imaginaire de la famille fourmi.
D’autant plus que quelques mois plus tard la cigale reprenait son rang, accompagnée de la ronde sans partage des croissants et des petits pains au chocolat.
Elles se sont perdues de vue au Lycée.
La famille fourmi allait mal ; la CAF a été supprimée à l’arrivée du gouvernement de Sokirska. Il n’aimait pas les pauvres, Monsieur Sokirska !
C’était donc ça la rupture !
On leur a expliqué que le PUPS, allant remplacer les programmes ERE, FIV, CEL, CLS, CLAS, VVV, ASV, DRFU, TDEP, AMG, CRAT et FFRU, la voie de l’emploi allait s’ouvrir à eux.
On ne peut s’accomplir que dans le travail lui a-t-on asséné ; elle poursuivrait donc son acharnement à trouver un travail ! Son seul espoir.
Mais comment voulez-vous qu’une fourmi noire trouve du travail ?
De plus, maligne, elle s’était bien rendu compte que pour produire les richesses du pays il n’était visiblement pas nécessaire ni possible que tout le monde travaille ; et que de toute façon , il n’y avait pas de travail pour tout le monde…
Mais elle trimait toute la journée, de petits boulots en petits boulots, pour survivre et faire survivre sa famille.
La famille cigale menait grand train ; la petite cigale passait régulièrement dans le quartier du bas pour aller à son bureau qui se trouvait dans le quartier d’affaires, juste à côté des fourmilières, la ZFU ; Zone des Fourmis à Urbaniser. C’est dans cette zone que la petite fourmi a essayé de trouver un travail. On leur a dit que dans une ZFU il y aurait du travail pour eux, que c’était fait pour eux, que les patrons recevaient de tas de subventions pour leur donner du travail. En vain. Ici les parkings sont pleins de 4×4 ; aucune fourmi en vue.
La petite fourmi n’en était pas découragée pour autant et errait pour trouver à manger et surtout à faire des réserves pour l’hiver. Le PUPS ne changeait rien.
Les périodes euphoriques succédaient aux périodes de vaches maigres pour la petite cigale qui, toujours et toujours trouvait secours et réconfort auprès de la petite fourmi qui partageait volontiers sa maigre pitance.
Puis la petite cigale disparut. Des années passaient. La petite fourmi rêvait d’un monde où chacun aurait de quoi vivre, juste dignement.
Un jour arriva une très très grosse voiture avec un chauffeur. La petite cigale descendit la vitre fumée. La petite fourmi accourut et s’étonna de tant de richesses.
« Vois-tu ma petite, j’ai eu de la chance : j’ai fait une plus-value de 650% en revendant mes stocks options. Je pars m’installer à Paris. As-tu besoin de quelque chose de là-bas si jamais je repasse par ici ? »
« Oui, répondit la petite fourmi, si tu rencontres La Fontaine, envoie-le se faire voir chez les Grecs ! »
Fred Muller
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publié le 17/12/2009
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