jeudi, 28 of mars of 2024

Le revenu de citoyenneté au Brésil : l´histoire d’une obstination ou manque d’approche systémique ?


Les politiques sociales, dans le monde dit démocratique (occidental et chrétien ?) comme dans «les autres», ont démontré de grandes difficultés dans la mise en place d’alternatives d’amélioration de la distribution de la richesse, tant pour les richesses produites par le travail humain que pour celles du patrimoine commun de la planète, qui existe et qui n’est pas négligeable. Si cela n’est pas aisé, s’il est normal de faire des pas en avant et d’autres en arrière, il est tout de même opportun d’en parler, car il il y a trop de quêtes qui restent dans la même voie, sans vraiment se demander si d’autres voies ne seraient pas plus efficaces.

Je connais personnellement le Sénateur Eduardo Suplicy depuis une trentaine d’années. Tout au début des années 80, nous avions lancé ensemble un programme de théâtre d’avant-garde dédié à la promotion de la démocratisation à partir d’activités culturelles dans le milieu syndical, là où est né le Parti des Travailleurs, pendant la dictature militaire qui a duré de 1964 à 1985, la plus longue du pays.

Il faut donc reconnaître sa patience historique, son obstination et la fermeté de ses idées, puisqu’à l’époque il venait de gagner son premier mandat d’élu local à Sao Paulo. C’est sans doute pour cela que le Président Lula a signé le 8 Janvier 2004 la loi brésilienne instituant un revenu de citoyenneté, qui avait été approuvée à l’unanimité par le Sénat puis par la Chambre des Députés1.

Qu’est devenu ce projet sept ans plus tard ? Malheureusement, très peu de choses par rapport à son ambition, car les décrets d’application n’ont pas été rédigés et la loi n’a jamais vu la lumière. En pratique, elle a été remplacée par d’autres politiques sociales focalisées, considérées plus valables du point de vue des urgences sociales. Il s’agit sans doute d’un choix politique clair, qui n’est pas dépourvu d’impacts sociaux et sur lequel nous croyons utile de faire quelques réflexions.

Le Programme Faim Zéro (« Fome Zero ») et ses nombreux corollaires comme la Bourse Famille (Bolsa Familia) ont été marqués par ce choix politique et, à notre avis, ont eu un impact sur la culture du travail. Ils n’ont guère avancé dans le sens d’une transformation des assistés en vrais « citoyens » responsables du bien commun et de l’ensemble des décisions politiques.

Si l’on cherche des chemins qui auraient pu être convergents, qui auraient pu promouvoir des synergies et qui n’ont pas été essayés par la gestion Lula, nous pouvons très facilement identifier l’initiative du budget participatif à Porto Alegre, qui a atteint plus d’une centaine de villes au Brésil et le Secrétariat National de l’Economie Solidaire (SENAES). Il est probable que sa création s’est inspirée de l’équivalent français de la gestion Guy Hascöet (sous L. Jospin, 2000), car ce secrétariat a été placé au Ministère du Travail et de l’Emploi, et non pas en Assistance /Développement Social. Les six ans de l’extraordinaire gestion du SENAES sous la main à la fois souple, ferme et fertile de Paul Singer (autorité reconnue dans le champ académique qui a bien su louvoyer dans le milieu politique) ont contribué peut-être plus que n’importe quelle autre initiative gouvernementale à la construction du tissu social démocratique. On retrouve cette évidence dans le Forum Brésilien d’Économie Solidaire (FBES), dont la gestion est partagée par l’État, les organisations de travailleurs et les organisations d’appui à la formation, telles les Universités et d’autres organisations de solidarité. Plus que le budget participatif, le SENAES s’est étendu à toutes les provinces du pays et à une proportion importante des administrations locales : c’est dans ce sens-là que nous disons qu’il a eu des effets plus importants dans le champ de la citoyenneté que dans celui des politiques sociales.2

Pour qu’on comprenne mieux l’importance des organisations de la société civile à l’heure de la construction de la citoyenneté, nous pouvons rappeler la réponse de Paul Singer à une question que nous lui avions posée à ce sujet, lors de la 4eme Rencontre de Globalisation de la Solidarité du RIPESS3, à Luxembourg, en avril 2009 : « La gestion du SENAES a toujours été la même: rester fidèle à son origine, à partir du mouvement social créé par la société civile, organisé autour du monde du travail, avec la mission de le rendre visible et d’approfondir ses conquêtes, pour l’inclusion citoyenne des secteurs sociaux exclus depuis les dernières décennies ».4

C’est sans doute pour cette exemplarité en matière de politique publique d’inclusion sociale en Amérique latine que tant d’organisations et personnalités de toute la planète se sont mobilisées pour appuyer le maintien du SENAES dans le gouvernement de la nouvelle Présidente Dilma Rousseff.

Enfin, si l’on veut faire une approche plus systémique de l’ensemble des politiques publiques, il est possible de considérer, qu’au-delà de « l’idéal » du revenu de citoyenneté proposé par la loi Suplicy, cette tâche a été en bonne partie achevée par les actions développées par le SENAES. Dans plusieurs dimensions, le SENAES a été à la fois conséquence d’un mouvement social préalable et créateur du nouvel acteur social, le Forum Brésilien de l’Économie Solidaire (FBES). Cette organisation est, assurément, un espace de conquête de la citoyenneté organisé autour du monde du travail, ce que les autres politiques sociales de transfert direct d’argent n’avaient pas réussi à faire. Il n’est pas insensé de considérer l’ensemble de ces résultats comme le produit des luttes populaires vers la radicalisation de la démocratie.

Il serait souhaitable qu’on apprenne à en tirer les leçons et à faire converger les progrès, si divers, tels que ceux du budget participatif ou ceux de l’économie solidaire, pas toujours considérés comme des mouvements vers le même propos à moyen terme. Si les différentes politiques sociales pouvaient être conçues comme des instruments de construction de citoyenneté, indépendamment de leurs représentations au niveau des forces des partis politiques (qui opèrent souvent à l’intérieur de la coexistence des gouvernements, tant au niveau local, des provinces, qu’au niveau national), la loi Suplicy de revenu citoyenneté auraient fait bien des progrès, par le biais d’autres stratégies, certes plus complexes, mais aussi plus appuyées par l’ensemble des forces politiques.

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Héloïsa Primavera

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3 Réseau Intercontinentales de Promotion de l’Économie Sociale et Solidaire

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publié le 24/06/2011


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